Une tribune signée par Philippe-Pierre Dornier, professeur à l’Essec et président de Newton.Vaureal Consulting
La planification des opérations vue, enfin, comme un enjeu stratégique Dans ces périodes chaotiques où les flux d’activités liés aux achats, à la production, à la distribution de produits finis ou de pièces de rechange, ne sont plus permanents mais toujours en régimes transitoires, la planification des opérations devient un enjeu encore plus sensible pour atteindre les objectifs de chiffre d’affaires, d’engagement de service, de maîtrise des coûts et des achats, et de profit au final.
La transformation de la planification opérationnelle est en train de s’accélérer. Elle est sortie des milieux experts et intéresse les comités de direction convaincus par les directeurs supply chain. Les dirigeants d’entreprises voient dans les technologies digitales un moyen d’améliorer la prise de décision en matière d’allocation de ressources, d’équilibre charge/capacité, et d’arbitrage dans des environnements mouvants. Les outils communément développés, au cœur desquels se situent les APS (Advanced Planning System) et les organisations qui s’appuient sur eux, basculent dans un nouvel univers.
Des faiblesses structurelles dans les solutions de planification
Quel que soit le niveau de maturité de l’organisation en charge de la planification des opérations, il y a quatre faiblesses qu’il est possible de retrouver.
En premier lieu, le recours très intensif à de multiples solutions locales basées parfois sur des outils dédiés mais le plus souvent sur Excel, y compris dans les plus grands groupes. Excel est simple et s’utilise facilement avec peu de barrières technologiques. Mais les résultats engendrés sont statiques et obligent à la reprise de données de manière permanente vers et à partir d’Excel.
En deuxième lieu, la prévision reste trop souvent un domaine qui ne s’appuie pas sur un modèle robuste testé. Le paramétrage est douteux et rarement maintenu. Le savoir-faire du prévisionniste prend rapidement le dessus et il tient un rôle nécessaire mais souvent excessif.
En troisième lieu, les informations de base sont généralement de pauvre qualité. Si elles sont hétérogènes dans leur provenance (ERP, WMS, CRM…) elles sont difficilement agrégeables. Elles sont gérées ponctuellement et le passage à un flux continu de données est une vraie difficulté qui empêche d’envisager l’exploitation de la remontée de données multiples en provenance, en particulier, de capteurs comme cela va être rapidement l’opportunité.
Enfin, en quatrième lieu, l’aptitude au changement sur la question de la planification est faible. Moins les processus sont standards et plus ils reposent sur des pratiques locales, et plus l’entreprise est alors dépendante de personnes uniques, dont la plus ou moins grande appétence au changement, conditionne la pérennité ou non de modèles organisationnels qui « marchent » mais qu’en réalité tout le monde sait obsolètes.
Plusieurs voies de progrès sont envisageables. La première vise à travailler une intégration plus aboutie, en particulier avec une meilleure prise en compte de la composante finance et contrôle de gestion. La seconde est de trouver des solutions facilitant la mise en place de boucles de contrôle en temps réel avec une exploitation de flux de données plus permanente. Enfin, la troisième source est d’élargir le champ des compétences mobilisables en trouvant le moyen d’associer des expertises extérieures à l’entreprise.
De « planifier pour mieux exécuter » à « contrôler pour mieux planifier »
Le monde de l’IT foisonne d’innovations à l’ère du digital : APS 4.0, les solutions IBP (Integrated Business Planning), les BEP (Business Efficiency Planning), les jumeaux numériques, le tout dominé par les Control Tower… Traditionnellement, la planification des opérations est prise en charge par des processus et des compétences internes. Dans le cadre d’un bon niveau de maturité, elle s’appuie sur des outils APS (SAP, Oracle, Dynasys…) ayant les caractéristiques suivantes :
• elles sont principalement sur étagères et paramétrables ;
• historiquement elles sont on premise, hébergées en propre par l’entreprise ;
• elles sont extensibles par projets successifs ;
• elles renvoient à un investissement en Capex, l’entreprise ayant acheté une licence.
Un autre choix existe avec les solutions de planification sous contrainte (Anaplan, Decision Brain…) qui sont des boites à outils customisables permettant de construire ses propres solutions d’optimisation et de mieux les intégrer dans des perspectives business. Enfin, les solutions IBP sont plus extensives, liant les APS/ planification sous contrainte à la dimension finance et contrôle de gestion plus affirmée afin, en particulier, d’évaluer les conséquences des scénarios « what if ? ».
Le développement de ces outils réclame une extrême vigilance et deux principes sont à retenir pour éviter les déconvenues.
• Se méfier de l’illusion que peut donner la qualité des résultats d’un pilote. Car les problèmes rencontrés ne sont pas liés à la performance de l’outil à partir de données figées, comme celles généralement utilisées dans le cadre d’un pilote.
• Acquérir la maîtrise de l’approvisionnement de l’outil avec un flux de données pérennes, propres et synchronisées. C’est la composante fondamentale à maîtriser pour assurer la qualité des résultats dans le temps d’un tel investissement. Ces données doivent être fournies en diversité, en quantité, en qualité et en permanence, le tout dans un environnement suffisamment sécurisé pour éviter tout risque de malversation.
Un mouvement important s’opère vers la proposition de solutions « SaaS cloud based », qui ouvre deux opportunités très riches. La première est liée au fait que le client utilisateur se dégage de la problématique IT et se focalise uniquement sur la dimension valeur ajoutée métier. La seconde repose sur la co-construction de solutions sous deux dimensions, informatique et métier de la planification. L’éditeur ayant la parfaite visibilité de l’outil est capable de le faire évoluer en fonction de son observation et de son analyse du suivi des utilisations faites. Sur la dimension métier, dans le cadre du recours à des solutions d’optimisation sous contrainte, et grâce à la visibilité sur les données de son client, les cabinets de conseil experts sont force de proposition dans la recherche de solutions les plus adaptées à la planification.
Clients utilisateurs comme fournisseurs de solutions et cabinets de conseil experts sont en mouvement et leurs équilibres respectifs bougent. Cela permet de trouver la martingale réconciliant quatre niveaux d’expertise qu’il faut savoir réunir dans la même équipe de planification pour tenter de passer à un stade plus efficace dans la planification : la maîtrise technique de l’outil ; la maîtrise du flux permanent, standardisé et nettoyé ; la capacité métier à une analyse détaillée des scénarios et de leurs alternatives ; l’aptitude d’élever la réflexion en intégrant mieux la composante IBP.